lundi 4 juin 2012

Les jeunes font leur petite cuisine

"Oh, non ! La levure chimique, il fallait en mettre plus de dix grammes !" La tête plongée dans ses fiches de révision, ce jeune homme au visage enfantin a l'air dépité. Il est persuadé qu'il a raté son examen de BTS cuisine. Il n'a pas 20 ans mais il porte haut son impeccable costume sombre. C'est la tenue obligatoire pour les garçons ; le tailleur - jupe ou pantalon - est de rigueur pour les filles. Et même si ce n'est pas toujours au goût de ces jeunes qui sortent du collège, ils n'ont pas le choix s'ils veulent étudier là. Si cela ne leur plaît pas, d'autres seront ravis de prendre leur place. Car de plus en plus de jeunes aiment la cuisine et veulent en faire leur métier. Un engouement récent et durable dû à l'emballement pour la gastronomie, à l'image du succès des nouveaux magazines culinaires et autres applications pour smartphones ? Ou un phénomène de mode lié au succès des émissions de télé-réalité telles Top Chef ou Masterchef ?

Impact de la 

 

Le lycée hôtelier Guillaume Tirel à Paris est l'un des trois lycées publics de la spécialité dans la capitale. Depuis la réforme du bac pro, qui propose une formation en trois ans comme le bac général, les collèges et les parents ont moins de mal à laisser filer leurs jeunes dans les filières spécialisées. Le "passe ton bac d'abord" perdure mais s'étend désormais à toutes les sections. "Avec la réforme, on peut même accéder à la fac ! La filière technologique n'est plus une voie de garage", s'enthousiasme Nicole Grimberg, proviseure du lycée Tirel. Du coup, les adolescents sont de plus en plus nombreux à choisir l'hôtellerie après le collège. En seconde technologique, quelque 200 dossiers sont envoyés ici pour seulement 24 places. Pour la voie professionnelle, plus de 250 demandes d'inscriptions sont envoyées pour 24 places en bac pro et 24 en CAP. Autant dire que la sélection est dure à l'entrée.
D'autant que ces études nécessitent des infrastructures onéreuses, et sont donc particulièrement limitées en place. À Guillaume Tirel, deux étages sont réservés au "plateau technique" : outre les "chambres d'applications" 2, 3 ou 4 étoiles et la fausse réception pour les jeux de rôle des élèves en hôtellerie, l'option restauration-cuisine nécessite des salles d'analyse sensorielle (pour les dégustations de vins et alcools forts), mais aussi d'une véritable cuisine de restaurant équipée et de salles de restaurant. Alors pour faire leur choix, les responsables de l'établissement misent sur les dossiers bien sûr, mais aussi sur la motivation. Et si l'hôtellerie et la restauration ont toujours connu une forte demande de la part des jeunes, les émissions de télé Top Chef et Masterchef ont également eu un impact sur les jeunes. "Ces programmes ont contribué à revaloriser la cuisine, par rapport à celui en salle. Mais ceux qui pensent cheveux longs et poubelle à côté du plan de travail se rendent rapidement compte de la réalité du travail", confie Nicole Grimberg.

Vie de palace

Les élèves, quant à eux, confessent que la télévision n'y est pas pour rien dans leur orientation. Pas la télé-réalité, qui "idéalise le métier" et où "on ne voit pas qu'il ne faut pas compter ses heures", explique Fiona, 19 ans. Antoine, élève lui aussi à Guillaume Tirel, avoue avoir été séduit par les documentaires à la télévision sur les grands chefs, "comme dans Envoyé spécial ou Capital". La plupart de ces étudiants n'ont jamais mangé chez un grand chef. Et rêvent justement de goûter à cette vie de palace, à laquelle ils ne pensaient jamais pouvoir prendre part : "On ne vient pas de familles avec qui on aurait pu aller au Georges V ou au Marriott", explique Annaëlle, vêtue dans les règles du code vestimentaire du lycée. La jeune femme ne compte pas s'arrêter à son bac pro, qu'elle décrochera si tout va bien le mois prochain, et poursuivra sa formation avec un BTS car elle "préfère devenir manager".
En cause dans la reconversion de ces jeunes qui se sont lancés dans la cuisine : la pénibilité du travail, souvent sous-estimée. Et la vie de palace, qui apparaît sous un jour moins reluisant, une fois les mains dans le cambouis. "On s'ennuie quand même un peu, dans les palaces !" s'exclament-ils tous d'une même voix. "Moi, j'ai fait un stage chez Ledoyen, on ne m'a fait faire que du soja", se désole Annaëlle. Et ses copains d'expliquer que les grands restaurants ont peur de la perte de produits chers, et de justifier ainsi leur amour des brasseries.

"Tu pourras aller là où il était, Strauss-Kahn !"

Autre atout séduction de cette filière : l'absence de chômage. Un élément qui pourrait passer pour un détail à 15 ans, mais qui a de l'importance pour convaincre les parents réticents au premier abord. Le secteur recrute du personnel qualifié, et pour peu qu'ils soient assidus à leurs cours, les élèves sont assurés de trouver du travail à la sortie. Les professeurs, qui sont tous des anciens de la profession, reconnaissent que les restaurateurs s'adressent directement à eux pour mettre la main sur ces jeunes bien formés avant même la fin de leurs études, lors de stages ou de recherches d'extras.
La profession ne connaît pas la crise. Et permet à ses jeunes de travailler partout dans le monde. Pour eux, qui ont soif de voyage, la cuisine est une aubaine. En stage de l'Allemagne à Bora Bora, les apprentis cuistots découvrent ces palaces vus à la télé. Et ne semblent finalement pas trop déçus par le manque de responsabilités que l'on pourrait leur y confier. Sur ce sujet, Annaëlle ne manque d'ailleurs pas de charrier son camarade Antoine, qui revient d'une expérience à Londres : "Toi, si tu continues, tu pourras aller en stage là où il était, Strauss-Kahn !" Quand la télévision vend du rêve.

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